...mais de sang frais, celui qui sèche au soleil et devient nauséabond ne saurait combler l’espace vide des esprits qui doit le demeurer pour la publicité.
Le nombre de reporters qui se masse à Port au Prince est évidemment une conséquence normale de ce monde à l’envers. Haïti connait mille litres de sang par jour depuis des années, mais il nous semblait coagulé. Tout le monde connait la légende de ce supplice Chinois de la goutte d’eau qui tombe sur la tête et rend fou. C’est la répétition qui devient l’enfer, une douche faite de ces milliers de gouttes d’eau est bénéfique pour la santé.
C’est ainsi dans l’information.
Des milliers de gouttes de sang rendraient fou. Il est impensable de proposer aux citoyens du monde une hémorragie permanente. Par contre, une rivière soudaine de ce liquide devient une opportunité pour tous de se sentir malheureux et concernés.
Alors, un séisme est une douche bénéfique pour le monde ?
C’est bien possible, il n’y a plus qu’à attendre ceux qui expliqueront que la terre se rebelle, que l’homme y est pour quelque chose au fond. Il ne faut pas s’inquiéter, les prêcheurs d’apocalypse sont déjà sur place.
Quelques milliards de dollars plus tard, le goutte-à-goutte reprendra sans doute comme un supplice étrange que personne ne perçoit réellement.
Car aucun journal, aucune édition spéciale n’est jamais diffusée en commençant par un titre qui sonnerait bizarrement. Un titre comme celui qui dirait : aujourd’hui, comme hier, comme demain sans doute, des milliers d’êtres humains sont morts de faim, sous les coups des gangs œuvrant dans les bidonvilles, sous les condamnations des pays de « droit », enfin de leurs droits.
Non, seule la douche est acceptable.
Un torrent de condamnés à mort, une rivière de sans-abris, une cascade d’affamés sont envisageables, mais pas les morts prises une par une, non cela serait insupportable.
Bien sur, c’est important, c’est de l’information et après tout, aucune mort dans ces conditions n’est plus admissible qu’une autre. Bien sur, il faut agir car la spirale est infernale et il faut endiguer le fleuve.
Ce n’est pas le barrage quand la crue se déclare qui est monstrueux, bien sur que non.
Mais l’immense retenue d’eau calme qui ne tarit jamais prend sa source aux montagnes de la banalité. Surtout, surtout ne ridons pas sa surface si plane et si parfaite, le supplice serait intolérable.
Nous oublierons, nous oublions toujours.