Un rouge gorge chantait à tue tête alors que la tortue se préparait à dormir pour l’hiver, car il n’y avait plus de fruits, de pissenlits quoique ce soit à manger.
Elle se plaignait de ce tapage alors qu’il était lui bien agréable au printemps et en été et qu’elle en était alors heureuse.
Ce chant, pour elle, était déplacé en hiver car on ne peut s’y sentir heureux.
Le rouge-gorge lui dit :
- Pourquoi penser au passé ? Il est vrai qu’aujourd’hui, le repas n’est plus un festin, mais il y a suffisamment pour le nécessaire et cela me satisfait.
- Satisfait ! Quelle stupidité de ne pas demander plus que d'être simplement satisfait ! Je suis satisfaite aussi, si vous voulez l'entendre d'une certaine manière. Mais vous vous efforcez de paraître heureux, et c'est bien différent.
- Eh bien, je ne suis pas seulement satisfait, je suis heureux aussi, continua le rouge-gorge.
- C'est sans doute parce.que vous ignorez ce qui vous attend, dit la tortue. Tant que la température n'est pas encore très-froide, vous pouvez ramasser des vers et trouver à satisfaire votre appétit; mais- lorsque la terre sera devenue si dure que les vers ne pourront plus remonter à sa surface et que votre bec ne pourra plus les atteindre, que ferez-vous?
- Êtes-vous bien sûre que cela arrivera? demanda le rouge-gorge.
- Oh ! Certainement, cela ne manquera pas d'arriver cet hiver, soit dans un moment, soit dans. un autre, peut-être très prochainement, et c'est ce qui me fait désirer de découvrir un abri et de m'endormir le plus tût possible.
- Oh bien, si le froid arrive, répondit le rouge-gorge, je m'en consolerai, il y a encore assez de baies sur les arbres.
- Mais supposons qu'il arrive quand il n'y ait plus de baies, dit la tortue, impatientée de ne pouvoir effrayer le rouge-gorge.
- Oh ! reprit-il, si nous en sommes à faire des suppositions, je supposerai que cela n'arrivera pas, et je continuerai d'être heureux.
- Mais je dis que cela peut arriver! cria la tortue.
- Et moi, je vous demande : est ce que cela arrivera ?, répliqua le rouge-gorge d'un ton non moins assuré.
-Vous savez que je ne puis répondre à votre question. Personne ne saurait rien prévoir à ce sujet.
- bien, puisque personne ne peut rien prévoir, pourquoi s'inquiéter d'avance? persista le rouge-gorge.
S'il y avait un moyen pour éviter le mal, ce serait différent, on pourrait y apporter remède, mais les choses étant ce qu'elles sont, nous n'avons rien de mieux à faire que de nous réjouir du bien-être que chaque jour apporte.
Le rouge-gorge se mit à faire plusieurs pirouettes qui furent interrompues de nouveau par la tortue.
- Ne croyez pas obliger les autres à se réjouir en même temps que vous, et cessez de nous rompre les oreilles du haut de cet arbre où vous êtes perché. Encore, si les branches en étaient couvertes de baies, on pourrait vous permettre de vous réjouir de la sorte ; mais puisque tous ces fruits sont tombés ou déjà mangés, vous n'avez pas de motif de chanter là plutôt qu'ailleurs. Laissez-moi donc vous demander de partir.
- Je ne demande pas mieux, répondit poliment le rouge-gorge.
Je vous souhaite donc le bonjour, et, si cela peut vous être agréable, et vous donner un parfait repos.
En disant ces mots, le rouge-gorge s'envola vers une autre partie du jardin où il put se divertir à son aise; la tortue s'enfonça sous les feuilles sèches dans le vieux bosquet, avec l'intention de prendre un bon sommeil.